S’il est louable de vouloir simplifier la vie des entreprises, l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. Un (petit) pan de la gargantuesque loi Pacte pourrait se transformer en bombe à retardement pour l’économie française. L’article 9 de ce projet revient sur le périmètre de la mission des commissaires aux comptes qui, sous tutelle du ministère de la Justice, sont chargés de garantir la fiabilité de l’information financière produite par les entreprises ou leurs experts-comptables.
Le principal grief fait à la profession du commissariat au compte serait que leur mission coûte trop aux petites entreprises et les prive ainsi de points de marge nécessaires à leur expansion. En réponse, le gouvernement souhaite relever les seuils d’audit légal pour s’aligner sur les recommandations faites par l’Union européenne.
Vers plus d’opacité
Si ce relèvement des seuils paraît légitime et adapté à la nouvelle démographie des entreprises individuelles en France, le diable se cache dans les détails… Le caractère préjudiciable de l’actuel projet de loi provient surtout du fait qu’elle amènerait à ne plus auditer une partie des structures les plus complexes en France : les entreprises organisées en groupe.
L’opacité engendrée serait loin d’être négligeable, les dernières estimations évaluent à 81.000 le nombre de filiales de groupes qui ne seraient plus auditées. Employeurs significatifs (près de 7,5 millions de salariés), ces ensembles économiques pèsent lourd : 2.900 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017 (soit plus de 100 % du PIB). Ils participent au développement des sous-traitants et de la distribution via le crédit interentreprises et l’investissement externe. Penser que de telles structures ne seraient soumises à aucun contrôle, interroge sur les risques économiques, sociaux et fiscaux et ses effets sur la transparence, nécessaire au fonctionnement optimal d’une économie moderne.
Effet d’aubaine
Autre point d’inquiétude, le caractère incitatif de la réforme pourrait pousser certaines entreprises à découper leurs activités pour s’organiser en groupe. En effet, si jusqu’à maintenant toutes les entités composant un groupe étaient auditées, seul le holding de tête le serait désormais.
Les conséquences sont doubles. D’une part, la complexité et l’émiettement du tissu entrepreneurial français seront exacerbés avec l’augmentation du nombre de sociétés s’organisant en cascade de holdings. D’autre part, l’image de l’entreprise dans son ensemble risque d’être ternie par un petit nombre d’entre elles tentées par la dissimulation. Le risque d’une éventuelle recrudescence de la fraude fiscale (et le manque à gagner pour les recettes publiques) sera difficile à supporter dans un contexte de nécessaire rééquilibrage des finances publiques.
Sécurité de l’environnement économique
La mission du commissaire aux comptes n’est pas celle de l’expert-comptable. Elle sert à préserver la sécurité de l’environnement économique et donc à protéger les salariés, les actionnaires minoritaires et tous les autres acteurs de la vie d’une entreprise des comportements frauduleux ou des erreurs qui pourraient générer du risque. Elle participe également à la démarche de prévention des difficultés des entreprises. A l’heure où les besoins d’investir des PME sont énormes, elle est essentielle pour rassurer les établissements prêteurs et faciliter la distribution de crédits indispensable au financement des entreprises.
Dans ces conditions, la perte de visibilité sur une portion conséquente du tissu entrepreneurial engendrée par l’article 9 de la loi Pacte (57 % des sociétés commerciales auditées aujourd’hui) pourrait avoir des conséquences négatives lourdes sur l’activité économique française.
Pierre Sabatier