Analyse du rapport « Evaluation du dispositif d’aide fiscale à l’investissement locatif Pinel » de novembre 2019, publié par l’IGF et le CGEDD

Peu après la publication de notre étude d’évaluation de l’efficacité des dispositifs fiscaux incitatifs soutenant l’investissement immobilier neuf locatif en France (disponible en téléchargement ici), un rapport d’évaluation du dispositif d’aide fiscale à l’investissement locatif Pinel écrit par l’IGF et le CGEDD est paru.

Ce rapport allant à l’encontre de certaines conclusions que nous avons émises dans notre précédente étude, nous avons choisi d’analyser en détail le rapport de l’IGF et du CGEDD. Vous trouverez ci-dessous le lien de téléchargement de notre analyse complète, puis la synthèse de notre analyse.

Télécharger l’analyse complète du rapport de l’IGF et du CGEDD

Synthèse

L’inspection générale des finances (IGF) et le conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) ont été mandatés par lettre de mission le 19 juin 2019 par les ministres chargés de l’économie, des comptes publics, de la cohésion des territoires et du logement afin de réaliser une évaluation du dispositif fiscal d’aide à l’investissement locatif, dit dispositif Pinel.

Ce rapport, nommé Evaluation du dispositif d’aide fiscale à l’investissement locatif Pinel et sorti en novembre 2019, va à l’encontre de certaines conclusions de l’Etude d’évaluation de l’efficacité passée, actuelle et future des dispositifs fiscaux incitatifs soutenant l’investissement immobilier neuf locatif en France que le cabinet PrimeView a rendu public en septembre 2019.

Si nous saluons l’existence d’une étude complémentaire sur le sujet nous permettant de confronter nos chiffres et conclusions, notamment lorsque les liasses fiscales ont pu être utilisées (ce dont nous ne disposions pas à l’époque), nous émettons des doutes quant aux conclusions de ce dernier et nous souhaitons marquer nos interrogations sur la démarche ayant permis d’y aboutir.

Une méthodologie non explicitée et des chiffres rares, parfois incohérents

Nous déplorons en premier lieu l’absence de toute méthodologie détaillée dans le rapport de l’IGF et du CGEDD. En effet, les chiffres publiés par les rapporteurs sont énoncés sans que ne soit fourni aucun élément permettant de comprendre comment ils ont été obtenus.

A titre d’exemple, nous pouvons citer les extrapolations réalisées sur le nombre minimum ou maximum d’investissements de particuliers bénéficiant du dispositif Pinel, le calcul des coûts budgétaires des différents dispositifs d’investissement locatif depuis 2005, ou encore la manière dont ont été testées les différentes hypothèses permettant de conclure que le dispositif Pinel ne permet jamais d’aboutir à un « bilan positif pour les finances publiques ».

Concernant la rareté des chiffres fournis, outre le fait que certains arguments sont basés sur la parole de quelques élus, nous sommes surpris par l’absence flagrante de données chiffrées concernant le bilan du dispositif pour les finances publiques quelles que soient les hypothèses testées.

En effet, si le bilan effectif n’était jamais positif comme évoqué en page 13 du rapport étudié, nous ne disposons d’aucune information sur les montants en jeu, élément pourtant déterminant pour proposer des ajustements légitimes du dispositif.

Concernant les données fournies quant au nombre d’investissements en logements Pinel ou des coûts estimés, ces dernières sont quasiment impossibles à recouper entre elles, laissant apparaître de fortes incohérences. Par exemple, les coûts des dispositifs évoqués par les différents Projets de Loi de Finance et les coûts évoqués par le rapport ne sont pas concordants.

Par ailleurs, nous avons été surpris par l’usage qui a été fait des entretiens avec les différents acteurs concernés. En effet, si récolter des avis d’élus peut s’avérer utile pour orienter les recherches, ces avis ne sauraient en aucun cas être pris en compte pour conclure sur les qualités ou défauts du dispositif sans les soumettre à une vérification statistique. Or, il est impossible d’avoir plus de détails que : « un grand nombre d’interlocuteurs rencontrés par la mission » ou « certains élus rencontrés […] considèrent que … », lorsqu’il s’agit d’avis. Cela laisse supposer que les conclusions issues de ces avis n’ont pas été testées de manière statistique pour mesurer s’ils avaient une validité suffisante pour constituer un réel argument. Nous nous étonnons ainsi de l’utilisation de ces avis pour discréditer de facto le dispositif, et donc inciter à le modifier.

La parole des élus est largement évoquée tout du long du rapport. S’il est important et intéressant de disposer de leur avis sur des enjeux de politique territoriale, nous estimons que leur parole est bien trop souvent mise en avant, sans remise en question suffisante.

En effet, les ressentis et interrogations présentées dans le rapport servent aux auteurs pour proposer des changements dans le dispositif Pinel, alors qu’aucune vérification de ces ressentis n’a été réalisée. Citons par exemple le ressenti sur la qualité des logements Pinel, qui sert à parler d’« inconvénient » pour le dispositif (page 28 de leur rapport).

Notons enfin que la parole de certains élus illustre une mauvaise connaissance du dispositif Pinel, notamment lorsque ces derniers disent préférer la suppression totale du Pinel plutôt que son élargissement à l’ensemble de la France. Ce dispositif étant conçu pour ne cibler que les zones tendues, il n’a en effet jamais été question de l’étendre…

Des propositions de modification du dispositif surprenantes

Le rapport de l’IGF et du CGEDD termine sur des propositions de modification du dispositif et non sa suppression. Au regard des critiques émises concernant la fiabilité des arguments tout au long du rapport, et de notre connaissance du sujet via l’étude publiée en septembre 2019, les évolutions proposées nous semblent non pertinentes pour certaines, surprenantes pour d’autres.

Deux propositions sont surprenantes, à savoir la volonté de conserver « l’attrait fiscal », quand il est clairement stipulé qu’un inconvénient majeur est que le dispositif est « peu pilotable pour l’Etat, du fait de sa nature fiscale ». Plutôt que de vouloir modifier le dispositif afin de concilier sa gestion et sa nature fiscale, peut-être faudrait-il s’intéresser au sujet de la transmission de données fiscales correctement anonymisées entre les ministères afin de mieux piloter l’ensemble des politiques françaises.

Ou alors, le fait que « la mission recommande d’écarter » l’option d’une allocation d’un contingent à partir du niveau local, quand il est nettement mis en avant le fait que les élus des collectivités souhaitent prendre part à sa gestion. Ainsi, ce qui est mis en avant pour discréditer le dispositif (les élus n’étant pas satisfaits de ne pouvoir avoir leur mot à dire) n’est pas utilisé pour l’améliorer.

Concernant la proposition d’utiliser un contingent et de le répartir selon les régions, cela n’apparaît pas pertinent. Le but recherché ici est une meilleure maitrise du dispositif et de sa répartition en France, car son application ne serait pas toujours réalisée dans les lieux les plus adaptés. A cela nous pouvons tout simplement rétorquer qu’il suffit, comme nous l’avons évoqué dans notre étude, de revoir le zonage du dispositif Pinel via l’élaboration de critères objectifs d’identification des zones tendues, et non le dispositif fiscal en tant que tel.

Enfin, le rapport s’achève sur le fait qu’« une plus grande implication des investisseurs institutionnels devrait être recherchée » sans justifier en quoi un rééquilibrage entre les bailleurs particuliers et institutionnels améliorerait le dispositif. Nous sommes aisément en droit de se demander pourquoi une telle volonté de rééquilibrage ?

Conclusion

Au terme de la lecture du rapport publié par l’IGF et le CGEDD, nous regrettons des faiblesses pouvant amener à mal juger le dispositif fiscal en faveur de l’investissement locatif neuf, en raison :

  • des différentes méthodologies utilisées pour effectuer des estimations et l’absence de transparence quant aux calculs réalisés ;
  • de l’incohérence des chiffres diffusés, lorsqu’ils sont disponibles ;
  • de la disproportion de la parole des élus dans la démonstration, sans que celle-ci soit suffisamment questionnée ;
  • de propositions sans lien direct avec la démonstration réalisée au préalable dans le rapport.

Nous remettons ici la dernière phrase de conclusion de la Synthèse de notre étude, qui est finalement un des rares points sur lequel nous convergeons avec le rapport de l’IGF et le CGEDD : « Il faut toutefois noter que l’efficacité du dispositif réside dans la précision des critères sociaux mais surtout dans la notion de zonage, permettant de cibler les lieux où l’offre de logements est insuffisante par rapport à la demande. »

Il n’est donc pas nécessaire de modifier ce dispositif comme proposé dans le rapport, mais d’améliorer les critères d’éligibilité permettant d’en bénéficier.

Il serait plus intéressant de se soucier de savoir si l’objectif premier du dispositif (la création de logements) est atteint : nulle part il n’est estimé de manière chiffrée si sans dispositif, autant de logements auraient été construits dans les zones d’intérêt.