Comme nous l’avons souvent évoqué dans nos publications, le bouleversement en cours de la structure des populations riches va entraîner une transformation profonde de l’ensemble de nos modèles de développement : croissance potentielle, propension à prendre des risques ou encore soutenabilité des modèles sociaux vont être mises à rude épreuve au regard du vieillissement en cours, qui se traduit par l’explosion du taux de dépendance partout dans le monde. Mais un autre aspect de l’évolution démographique risque d’ébranler prochainement les fondations mêmes de nos économies : l’effacement progressif du besoin de posséder au profit d’une simple valeur d’usage pour les nouvelles générations.
En effet, en lien avec le besoin supplémentaire d’écoute, de dialogue et de proactivité des « nouveaux jeunes » qui entrent sur le marché du travail, leur relation à la propriété semble être fondamentalement différente de celle des générations précédentes. En effet, loin du plaisir et de la fierté de la génération des baby-boomers de pouvoir acheter leur première voiture après leur mariage, les jeunes générations perçoivent la propriété comme une forme de privation de liberté. Cela est d’autant plus vrai qu’ils doivent s’engager à travers un crédit pour acquérir des biens qui se déprécient rapidement, dans un contexte de stagnation de leurs revenus. Leurs exigences reviennent à des problématiques d’usage : ils souhaitent avant tout pouvoir utiliser les biens et services au moment où ils le désirent.
Cette remise en question du comportement d’achat des futurs consommateurs aura des implications majeures sur les business models traditionnels. Pourquoi ? Car en termes économiques, cela se traduit par une augmentation substantielle du taux d’utilisation des biens autrefois acquis pour un seul ménage. L’exemple du marché de l’automobile illustre déjà ce phénomène : si la crise a bien sûr porté un coup aux ventes de véhicules en Europe, le développement de l’économie de partage n’est pas étranger aux niveaux qui restent historiquement faibles (cf. graphique). En effet, selon une enquête réalisée en 2012(1), l’adhésion à un service d’autopartage se traduit pour les individus concernés par :
- Une baisse de – 41 % des kilomètres parcourus en voiture chaque année
- Une augmentation de + 40 % de la proportion de ménages qui ne possèdent aucun véhicule
- Une diminution de – 76 % du nombre de personnes utilisant quotidiennement la voiture
Entretenu par un double phénomène de moindre désir de propriété et de possibilités technologiques nouvelles rendant plus faciles la mise en relation et la coordination, il ne serait plus étonnant que le développement de l’économie de partage redessine en profondeur les métiers les plus traditionnels de nos économies dans les années à venir.
(1) Enquête réalisée par 6T Bureau de recherche en partenariat avec France Autopartage, l’ADEME et PREDIT 4, auprès de 2000 « autopartageurs »